Je suis un cyborg, film de Park Chan-Wook
Dans sa nouvelle L'homme bicentenaire Isaac Asimov retraçait la quête d'Andrew un robot au cerveau positronique qui était désireux de devenir humain. Conscient des réticences des humains, il sait faire preuve de patience et voir plusieurs générations d'hommes s'éteindre pour arriver à ses fins sans pour autant désobéir aux trois lois de la robotique :
1- Un robot ne peut pas nuire à un être humain ni, par son inaction, laisser un être humain en danger.
2- Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains sauf quand ces ordres sont en contradiction avec la Première Loi.
3- Un robot doit prendre soin de sa propre existence tant que ce soin n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
En effet, en devenant un expert des prothèses cybernétiques, il parvient ensuite à démontrer devant les tribunaux qu'un humain appareillé de tels dispositifs n'en est pas moins humain. Ce qui lui permet d'avancer qu'en dépit de son cerveau positronique, il est capable d'avoir des sentiments et est en droit de revendiquer la qualification d'être humain.
Dans son film Je suis un cyborg, Park Chan-Wook part de la situation diamétralement inverse mais au final il cherche lui aussi à cerner ce qui définit un être humain au travers d'une réflexion sur la norme.
Young-goon doit être internée dans un hôpital psychiatrique car sur son poste de travail elle vient de se taillader le poignet pour y placer des fils électriques qu'elle a reliés à une prise.
L'étymologie nous apprenant que le terme robot provient du tchèque robota qui signifie travail forcé, on pourrait penser de prime abord, que c'est la répétition infernale des mêmes gestes sur la chaîne de montage de postes de radios qui a provoqué l'hallucination auditive à la source de ce pétage de plomb.
En fait, tout comme les robots d'Isaac Asimov, Youg-goon obéit à des lois non seulement strictes mais obsessionnelles. Dans son cas celles-ci sont générées par sa schizophrénie qui la pousse à croire qu'elle est un cyborg qui peut communiquer avec les distributeurs de boissons et autres néons. Le Mental Research Institute de Palo Alto avait affirmé que le traitement de la schizophrénie ne devait pas se limiter au patient mais s'étendre aux relations familiales qui seraient sinon la cause du moins un des facteurs majeurs de maintiens des symptômes.
Le réalisateur coréen semble partager son avis puisqu'au fur et à mesure on comprend que la grand-mère de la jeune fille était elle-aussi schizophrène au grand dam de la mère de Youg-goon qui n'est guère plus stable tant elle est honteuse des délires de la vieille femme qui se prend pour une souris et consomme du navet mariné à longueur de journée. Aussi lorsque Young-goon fera son coming-out cybernétique, la réaction de sa mère qui lui enjoint de dissimuler aux autres ce qu'elle vient de lui confier sera le principal obstacle au traitement ultérieur de sa maladie mentale.
Cette omerta empêchera les psychiatres de comprendre pourquoi elle s'affaiblit de plus en plus à force de jeuner tant elle est persuadée qu'elle doit recharger ses batteries au sens propre en apposant ses doigts mouilés ou sa langue sur des piles.
Sa rencontre avec un autre aliéné qui ne se ballade jamais sans l'un de ses masques et porte une tenue qui fait penser à une grenouillère lui sauvera la vie car, motivé par un amour fou à plus d'un titre, il sera le seul à finir par trouver le moyen de l'amener à s'alimenter tout en respectant les lois rigides que leurs maladies respectives leur imposent. Un moyen à la mesure de sa propre folie qui n'a rien à envier à celui de Youg-goon puisque Il-soon pense éviter de disparaître en absorbant les symptômes des autres malades.
Cette romance à mi-chemin entre Vol au dessus d'un nid de coucou et Some voices est mâtinée d'un imaginaire loufouque qui doit beaucoup à Tim Burton de l'aveu même de Park Chan-wook. Le tout est mis à l'écran sur fond de couleurs acidulées en alternant les moments de descriptions cliniques de l'évolution de la maladie de Young-goon et les passages oniriques liés à ses hallucinations.
A l'instar des autres aliénés de l'hôpital tous aussi barrés les uns que les autres (un homme qui marche à reculon et qui s'excuse à tout va car il se croit responsable de tout ;un autre qui est convaincu d'avoir un élastique géant accroché à sa taille ; une boulimique qui pense pouvoir voler en frottant ses chaussettes l'une contre l'autre ; etc.) nous suivons cette histoire d'amour pour (re)découvrir que derrière l'outrance de la folie il y a une inquiétante étrangeté que désarmorce néanmoins l'humour omniprésent comme le souligne le titre anglais : I'm a cyborg but that's OK.
Je suis un cyborg est paradoxalement à la fois très loin de la violence de Old boy et à la fois très proche car dans l'un et l'autre film il s'agit de cerner le sens à donner à l'existence, il s'agit de questionner la norme en profondeur un peu à la manière déstabilisante de Chuck Palahniuk. Les séances de thérapie de groupe, les parties de ping-pong dans la salle commune ou les repas au réfectoire sont autant d'occasions d'illustrer la difficulté à communiquer qui va de paire avec le besoin d'altérité.
Dans le prolongement de ce film je recommande de (re)lire La réalité de la réalité. Confusion, désinformation, communication de Paul Watzlawick dont je tire l'extrait suivant :
Nous avons vu qu'il est de la plus grande importance de savoir si notre réalité a ou non un ordre, et qu'il y a trois réponses possibles :
1- Elle n'a aucun ordre ; auquel cas la réalité est, dans la même mesure, confusion et chaos, la vie étant quant à elle un cauchemar psychotique.
2- Nous compensons notre état existentiel de désinformation en inventant un ordre, oublions que nous l'avons inventé, et l'éprouvons comme quelque chose qui se trouve "là autour" et que nous appelons réalité.
3- Il y a un ordre, qui est la créature de quelque Etre supérieur dont nous dépendons, quoiqu'il soit lui-même tout à fait indépendant de nous. La communication avec cet Etre devient donc pour l'homme le but le plus important.
La majorité d'entre nous parvient à ignorer la première possibilité. Mais aucun de nous ne peut éviter un certain penchant - si vague ou inconscient soiit-il - pour l'une ou autre des possibilités 2 et 3.
1- Un robot ne peut pas nuire à un être humain ni, par son inaction, laisser un être humain en danger.
2- Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains sauf quand ces ordres sont en contradiction avec la Première Loi.
3- Un robot doit prendre soin de sa propre existence tant que ce soin n'entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
En effet, en devenant un expert des prothèses cybernétiques, il parvient ensuite à démontrer devant les tribunaux qu'un humain appareillé de tels dispositifs n'en est pas moins humain. Ce qui lui permet d'avancer qu'en dépit de son cerveau positronique, il est capable d'avoir des sentiments et est en droit de revendiquer la qualification d'être humain.
Dans son film Je suis un cyborg, Park Chan-Wook part de la situation diamétralement inverse mais au final il cherche lui aussi à cerner ce qui définit un être humain au travers d'une réflexion sur la norme.
Young-goon doit être internée dans un hôpital psychiatrique car sur son poste de travail elle vient de se taillader le poignet pour y placer des fils électriques qu'elle a reliés à une prise.
L'étymologie nous apprenant que le terme robot provient du tchèque robota qui signifie travail forcé, on pourrait penser de prime abord, que c'est la répétition infernale des mêmes gestes sur la chaîne de montage de postes de radios qui a provoqué l'hallucination auditive à la source de ce pétage de plomb.
En fait, tout comme les robots d'Isaac Asimov, Youg-goon obéit à des lois non seulement strictes mais obsessionnelles. Dans son cas celles-ci sont générées par sa schizophrénie qui la pousse à croire qu'elle est un cyborg qui peut communiquer avec les distributeurs de boissons et autres néons. Le Mental Research Institute de Palo Alto avait affirmé que le traitement de la schizophrénie ne devait pas se limiter au patient mais s'étendre aux relations familiales qui seraient sinon la cause du moins un des facteurs majeurs de maintiens des symptômes.
Le réalisateur coréen semble partager son avis puisqu'au fur et à mesure on comprend que la grand-mère de la jeune fille était elle-aussi schizophrène au grand dam de la mère de Youg-goon qui n'est guère plus stable tant elle est honteuse des délires de la vieille femme qui se prend pour une souris et consomme du navet mariné à longueur de journée. Aussi lorsque Young-goon fera son coming-out cybernétique, la réaction de sa mère qui lui enjoint de dissimuler aux autres ce qu'elle vient de lui confier sera le principal obstacle au traitement ultérieur de sa maladie mentale.
Cette omerta empêchera les psychiatres de comprendre pourquoi elle s'affaiblit de plus en plus à force de jeuner tant elle est persuadée qu'elle doit recharger ses batteries au sens propre en apposant ses doigts mouilés ou sa langue sur des piles.
Sa rencontre avec un autre aliéné qui ne se ballade jamais sans l'un de ses masques et porte une tenue qui fait penser à une grenouillère lui sauvera la vie car, motivé par un amour fou à plus d'un titre, il sera le seul à finir par trouver le moyen de l'amener à s'alimenter tout en respectant les lois rigides que leurs maladies respectives leur imposent. Un moyen à la mesure de sa propre folie qui n'a rien à envier à celui de Youg-goon puisque Il-soon pense éviter de disparaître en absorbant les symptômes des autres malades.
Cette romance à mi-chemin entre Vol au dessus d'un nid de coucou et Some voices est mâtinée d'un imaginaire loufouque qui doit beaucoup à Tim Burton de l'aveu même de Park Chan-wook. Le tout est mis à l'écran sur fond de couleurs acidulées en alternant les moments de descriptions cliniques de l'évolution de la maladie de Young-goon et les passages oniriques liés à ses hallucinations.
A l'instar des autres aliénés de l'hôpital tous aussi barrés les uns que les autres (un homme qui marche à reculon et qui s'excuse à tout va car il se croit responsable de tout ;un autre qui est convaincu d'avoir un élastique géant accroché à sa taille ; une boulimique qui pense pouvoir voler en frottant ses chaussettes l'une contre l'autre ; etc.) nous suivons cette histoire d'amour pour (re)découvrir que derrière l'outrance de la folie il y a une inquiétante étrangeté que désarmorce néanmoins l'humour omniprésent comme le souligne le titre anglais : I'm a cyborg but that's OK.
Je suis un cyborg est paradoxalement à la fois très loin de la violence de Old boy et à la fois très proche car dans l'un et l'autre film il s'agit de cerner le sens à donner à l'existence, il s'agit de questionner la norme en profondeur un peu à la manière déstabilisante de Chuck Palahniuk. Les séances de thérapie de groupe, les parties de ping-pong dans la salle commune ou les repas au réfectoire sont autant d'occasions d'illustrer la difficulté à communiquer qui va de paire avec le besoin d'altérité.
Dans le prolongement de ce film je recommande de (re)lire La réalité de la réalité. Confusion, désinformation, communication de Paul Watzlawick dont je tire l'extrait suivant :
Nous avons vu qu'il est de la plus grande importance de savoir si notre réalité a ou non un ordre, et qu'il y a trois réponses possibles :
1- Elle n'a aucun ordre ; auquel cas la réalité est, dans la même mesure, confusion et chaos, la vie étant quant à elle un cauchemar psychotique.
2- Nous compensons notre état existentiel de désinformation en inventant un ordre, oublions que nous l'avons inventé, et l'éprouvons comme quelque chose qui se trouve "là autour" et que nous appelons réalité.
3- Il y a un ordre, qui est la créature de quelque Etre supérieur dont nous dépendons, quoiqu'il soit lui-même tout à fait indépendant de nous. La communication avec cet Etre devient donc pour l'homme le but le plus important.
La majorité d'entre nous parvient à ignorer la première possibilité. Mais aucun de nous ne peut éviter un certain penchant - si vague ou inconscient soiit-il - pour l'une ou autre des possibilités 2 et 3.