Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruine, recueil de nouvelles de Jérôme Leroy.
Il est rare que la lecture d'une quatrième de couverture suffise en soi à me donner envie de lire un roman. En effet, je considère souvent que le meilleur moyen de rentrer dans un livre est de parcourir au petit bonheur ses pages, quelques paragraphes, pour entendre si une mélodie, des thèmes, des images se dégagent cette lecture kaléïdoscopique.
Mais pour avoir lu bon nombre des romans et des recueils de Jérôme Leroy, force est de constater que l'extrait de la nouvelle éponyme de Comme un fauteuil Voltaire dans une bibliothèque en ruine placé au dos du livre a été particulièrement bien choisi. Il est tout à fait représentatif de la substantifique moëlle de la démarche littéraire de l'auteur :
« - Mais vois-tu, il y a trente ans, quand j'étais petit garçon, si l'on m'avait dit que j'allais vivre dans un monde où l'on risque sa peau en mangeant, en se baignant, en faisant l'amour, un monde où il faut accepter de porter des masques certains jours, où la fête est devenue une obligation, un monde où l'on bombarde ses propres banlieues, où l'eau manque, où l'on ne peut plus jamais être seul sans avoir l'air suspect de maladie mentale, où vouloir faire un enfant à une femme en entrant en elle est devenu obscène, alors, tu vois, j'aurais dit à ce type que j'aimais bien la science-fiction, mais que, là, il y allait tout de même un peu fort. Qu'il n'était pas crédible... On supporte tout ça parce que ce n'est pas arrivé d'un seul coup, mais à doses homéopathiques, mois après mois, année après année. En fait, la catastrophe est lente, Agnès, terriblement lente. C'est une fin du monde au ralenti. Tu comprends ?
- Je crois que oui. Hélas, je crois que oui. »
Pour masquer l'horreur du système qui se profile un peu plus près qu'à l'horizon, le romancier à l'instar des philosophes qui n'ont eu de cesse de l'inspirer, rappelle que les tenants du pouvoir falsifient la réalité pour soumettre l'humanité aux nouvelles conditions de vie.
Ainsi on suivra dans ce recueil les enquêtes du commissaire Borgès qui en bon chien de garde interpelle, rééduque et si besoin élimine toutes les personnes qui sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts des dominants : de l'arrestation d'une personne qui a cessé progressivement de consommer à l'assassinat de Karl Marx dans le passé, tous les moyens sont bons pour briser les révoltes et maintenir l'ordre établi.
Mais le recueil présente également la folie furieuse de quelques individus que ce monde névrosé ne peut qu'engendrer tel ce propriétaire troublant de Flambée immobilière qui recrute ses locataires selon des critères interlopes ainsi que des personnages désinvoltes qui constituent à eux seuls des contrepouvoirs évidents comme ce séducteur d'Une sorcière dans la cuisine qui répète à l'envi qu'il est un vieux con et qu'un jour il faudra qu'il paye.
Rajoutez à cela quelques anges, quelques fantômes et autres vampires, une énorme dose d'humour mâtinée d'ironie et vous aurez une petite idée de ce qui vous attend dans ce bijou de style d'un auteur au carrefour de Brown et d'Orwel qui ne cache pas ses sympathies pour le monde d'avant la chute du mur de Berlin et son intérêt pour Hugo Chavez sur le blog des moissonneuses à qui il dédicace ce livre.
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